
TEMOIGNAGE - Il y a dix ans, après une quête spirituelle, je me suis convertie à l’islam. J’avais 20 ans et, à l’issue d’une longue et mûre réflexion, je m’étais émancipée de l’éducation catholique dans laquelle ma famille d’origine portugaise – et très croyante – m’avait baignée. J’étais intimement convaincue de mon choix, mais j’avais peur. Peur de la réaction de mes proches, de leur jugement et de leur incompréhension, surtout de la part de ma mère. C’est pourquoi, pendant deux ans, je leur ai caché cette conversion, contrainte de m’éloigner d’eux pour garder ce lourd secret… qui a très vite été débusqué par mes collègues.
Quatre mois après ma conversion à l’islam, le ramadan a débuté. Mes collègues se sont vite rendu compte que mes habitudes avaient changé et j’ai dû leur confirmer que oui, j’étais bien devenue musulmane et que oui, j’allais jeûner pendant un mois.
J’avais beaucoup d’a priori sur la façon dont cela allait être perçu. Je me disais que les jugements allaient forcément fuser, d’autant plus que les gens ont tendance à penser que si vous changez de religion, vous changez tout court – ce qui est totalement faux, évidemment. Cela n’a pas raté : j’ai dû quitter ce travail, en mauvais termes, à cause de ça. Après coup, je me dis que cette histoire m’a appris à assumer qui j’étais sans me cacher et à avoir davantage confiance en moi.
Aujourd’hui, je m’estime chanceuse parce que cela fait quatre ans que j’évolue dans un lieu de travail ouvert où je me sens libre d’être qui je suis. Et je sais que ce n’est malheureusement pas partout comme ça. Je travaille en tant que responsable d’un service relation client, dans une entreprise multiculturelle où cohabitent en open space différentes nationalités, origines et religions. Cela induit une certaine ouverture d’esprit et une tolérance. C’est ce qui fait notre force, comme une grande famille.
De ftour à Noël tous ensemble
Dans cette idée, nous passons des moments ensemble hors du travail. Chaque année, nous organisons un dîner de rupture du jeûne – appelé « ftour » – réunissant toutes les équipes. De la même manière, nous célébrons également Noël. D’ailleurs, hasard du calendrier, le Carême tombe à peu près en même temps que le ramadan cette année. À cette occasion, plusieurs de mes collègues comptent faire un jeûne strict. Nous allons donc observer le jeûne ensemble, chrétiens et musulmans. Ce qui est précieux, c’est qu’à travers nos pratiques, nous sommes motivés par la même idée de passer des moments de partage pour se rapprocher, mieux se connaître.
Selon moi, participer à une fête religieuse alors qu’on ne partage pas forcément les mêmes convictions est une façon de montrer à l’autre qu’on est avec lui, qu’on se soucie de lui, peu importe les croyances. On sait que l’on a des différences, mais cela ne nous définit pas, on passe au-delà.
Et pour les membres d’une équipe, il est d’autant plus important de connaître ses collègues. Les miens viennent de régions très différentes du monde et j’apprends énormément avec eux. Nous avons même eu l’idée de faire chaque semaine un restaurant de nationalité différente, pour que chacun d’entre nous puisse faire découvrir aux autres les spécialités de son pays.
« Faites attention, Raphaëlla peut vous couper la tête »
Cette proximité ne nous empêche cependant pas de garder en tête que nous restons dans un cadre de travail et qu’on ne mélange pas tout. Ainsi, lorsqu’il y a des sujets d’actualité sensibles qui touchent notamment à la religion, nous n’en parlons que rarement, car ce n’est pas l’endroit approprié.
Dans mes précédents jobs, avant de travailler dans mon entreprise actuelle en région parisienne, certaines personnes ont pu avoir du mal avec ce concept. Ce qui a pu donner lieu à des moments gênants, voire complètement déplacés. J’ai encore nettement en tête cette fois où, peu après l’assassinat du professeur Samuel Paty, alors que je plaisantais avec mon directeur, une de mes collègues est arrivée et lui a lancé en rigolant : « Faites attention, vous savez que Raphaëlla peut vous couper la tête ! » Un moment de malaise. Je lui ai fait remarquer que non seulement ce n’était pas drôle, mais en plus c’était raciste.
Malheureusement, ce n’est pas la seule fois où on m’a réduite à ma religion. En général, les gens vous attaquent rarement de front sur ce genre de sujet, ils préfèrent les petites piques pas très subtiles. Comme un collègue qui me dit : « Tu t’es convertie à l’islam, alors tes enfants vont s’appeler Abdel Machin et être musulmans. » Ou encore – là c’était une cliente – quand on m’a accusée d’être « antiféministe » et dit que je devrais « avoir honte, en tant que Française », d’être musulmane. Ce sont des mots que j’attribue plus à de l’ignorance qu’à de la malveillance. Parfois, je fais juste face à des gens surpris d’apprendre que je suis musulmane alors que mon nom et mon prénom ne sonnent pas maghrébin. Parce que dans l’idée commune, les deux doivent forcément être liés.
Pouvoir rire ensemble, un marqueur important
Dans l’autre sens, il m’est déjà arrivé, dans un ancien boulot, que deux collègues d’origine maghrébine m’accusent d’en « faire trop » parce que je faisais le ramadan. « Vous, les convertis il faut toujours que vous en fassiez trop », m’ont-elles dit. Comme quoi, parfois, la critique est là où on ne l’attend pas.
C’est aussi en cela que je me dis que je n’aurais pas dû avoir aussi peur d’être jugée à l’époque. Car, quoi que l’on fasse, il y a toujours du jugement. Mais parfois, quand on a de la chance, la vie peut nous mener vers des personnes tolérantes. C’est pour cela que j’adore travailler dans mon entreprise actuelle.
En s’abstenant de juger on permet l’écoute et le partage. Et c’est là aussi où cela devient drôle, parce que, lorsque l’on se connaît bien, on peut se permettre d’être dans le second degré et de rire de certaines choses. Je pense qu’il s’agit d’un marqueur important de confiance, de respect et, tout ça, ça se construit. Et tout le monde à tellement à y gagner, croyez-moi.
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